À moins que vous n'ayez effectué une retraite spirituelle loin des sociétés humaines ces derniers mois, vous n'avez pas pu passer à côté de l'un des événements majeurs du jeu vidéo en ce début d'année: la sortie de Zelda: Breath of the Wild sur les Nintendo Wii U et Switch.
Si les éloges de la presse vidéoludique n'ont pas su vous convaincre, nous avons pensé qu'un petit aperçu du jeu vu par le commun des joueurs pourrait vous éclairer dans votre choix. Attention, il ne s'agit pas d'un test, car nous sommes loin de l'avoir quadrillé du début à la fin; mais après plusieurs dizaines d'heures passées dessus, nous avons dégagé quelques grands traits significatifs qui nous ont permis de dresser cette humble présentation.
Alors, ce Souffle Sauvage a-t-il de quoi nous transporter?
Avant de commencer, et pour bien comprendre ce dans quoi nous arrivons, un peu d'histoire: vous vous réveillez sous les traits de Link, dans une Hyrule dévastée. 100 ans plus tôt, le tristement célèbre Ganon a déclenché un immense Fléau qui a laissé le monde à l'état de ruine. Quelques bastions sporadiques se sont reconstruits après l'orage, mais dans l'ensemble, c'est une nature post-apocalyptique qui vous attend. Prise dans la végétation, la silhouette inquiétante des Gardiens rappelle le chaos qui est survenu un siècle auparavant. Au loin, le château de Hyrule se dresse, enserré par les griffes d'une ombre cauchemardesque, celle de Ganon. Scellée par le pouvoir de Zelda, sa force grandit, et désormais le clan du Mal et le vôtre se préparent sans relâche pour l'affrontement qui se profile au loin.
Il est nécessaire de bien méditer ce scénario pour comprendre la construction de ce nouvel univers où tout, peu à peu, dévoile sa parfaite cohérence.
On ne vous reprendra plus lorsque vous direz que Zelda est un RPG
On va d'ores et déjà désamorcer les comparaisons bidasses avec The Witcher 3, parce que s'il suffisait d'avoir un RPG fantasy en monde ouvert avec des quêtes secondaires et des pissenlits à ramasser pour faire du The Witcher, il y a pas mal de jeux qui pourraient prétendre à ce titre.
Il est clair pourtant que ce nouvel opus va demander aux habitués de la licence de remettre en cause la plupart des mécaniques qu'ils avaient eu le temps de digérer depuis 1986. Basiquement, la progression de tout Zelda qui se respecte s'effectuait par les armes et les différents objets divins recueillis dans les temples. Autrement dit, votre progression était bridée à une certaine zone à partir du moment où vous n'aviez pas de grappin pour vous hisser par dessus une muraille, ou de palmes pour traverser un cours d'eau.
Vous pouvez oublier cette époque. Sans doute vous arrivera-t-il peut-être de la regretter quand vous vous retrouverez seul devant un colosse avec comme seule défense un cure-dent qui s'effrite. Mais la réalité est là: au bout de 31 ans d'existence (déjà!) , la série délaisse le déroulement scénaristique soumis aux artefacts pour le livrer à une autre volonté jusqu'ici inexprimée: celle du joueur. Au début du jeu, on vous livre une tablette Sheikah que vous parerez très vite de presque tous les modules qu'il vous faut pour progresser. En quelques heures, vous aurez ainsi toutes les cartes en main pour vous lancer à l'assaut de Hyrule. À vous de faire le reste.
Il est clair que cette révolution majeure de gameplay risque de décontenancer les adeptes les plus sévères de la série. Finies les progressions d'un point A à un point B à un point C. Vous êtes désormais livrés à vous-mêmes avec un seul but: celui de vous préparer au combat final contre Ganon. Il n'y a plus aucune limite à votre progression, et si vous avez envie de vous rendre d'emblée au boss final, libre à vous; mais vous risquez de vous prendre une claque de yéti entre les deux yeux qui vous renverra dans le ventre de votre mère.
En cela, on l'a souvent répété, Breath of the Wild a largement hérité du RPG occidental en monde ouvert où c'est au joueur de fixer lui-même les objectifs qui jalonneront sa progression. Alors on peut vous entendre d'ici: ça y est, le jeu vidéo japonais, dernier rempart à l'open-world fadasse et descénarisé de l'Occident, vient de céder. On peut comprendre cette appréhension qui était la nôtre avant de nous lancer dans Breath of the Wild. À de nombreux égards, il est un peu lassant de constater que le jeu vidéo en 2017 s'est beaucoup orienté vers la mode consensuelle et craintive de l'Action/RPG/Shoot/Openworld/Fedex/Conférence E3. Sur ce même squelette se sont construits tout un lot de jeux déjà faits et plus à faire, mais que le public continue sagement d'avaler, faute de mieux.
Alors c'est sûr que quand on vous annonce un Zelda en mode RPG à monde ouvert, il y a de quoi se ronger les ongles. Eh bien non. Et loin s'en faut. Parce que cette soi-disante liberté du joueur à laquelle prétendent tous les open-world actuels, Breath of the Wild va vous la livrer pour de bon, pleine et entière.
Héros-responsable
Dès que vous passez le palier des 4 premiers sanctuaires, le monde s'offre à vous dans sa totalité. Je dis bien sa totalité, car désormais, libre à vous d'aller où bon vous semble. Le fil conducteur de votre quête principale reste en background comme point de repère à votre progression, mais globalement le déroulement tout comme l'interface s'est voulu très épuré. De cette façon, On se sent véritablement libre de nous préparer à l'affrontement contre Ganon comme nous le voulons.
C'est à nous de construire nos objectifs, grâce à la map interactive où il est possible de placer des balises. Ici, un campement de monstres gardant un trésor, ici, des mines de métaux précieux, ici, un phénomène bizarre que je passerai voir plus tard quand j'aurai terminé ce que je suis en train de faire....
C'est là le grand changement. Contrairement aux open-worlds où le joueur est bringuebalé d'une quête à l'autre comme un valet aux ordres des PNJ, ici c'est à nous de nous construire, principalement grâce à ce que nous débusquerons dans la nature. Certes, l'absence apparente de choses à faire fait peur de prime abord et demande vraiment de se prendre en main sans attendre que le scénario le fasse pour nous. Parce que si on ne cherche pas, si on ne s'aventure pas, il est clair qu'on ne trouvera rien à faire. Et c'est là que la série Zelda, qui semblait avoir quitté ses sentiers battus, revient à ses fondamentaux: ceux qui veulent pousser le joueur à explorer le monde sauvage qui s'ouvre à lui, comme l'avait voulu Miyamoto lorsqu'il évoquait ses souvenirs d'enfance dans la campagne japonaise.
Ode à la Nature
Vous êtes donc lâchés dans cette nature sauvage, totalement démunis, avec à peine un slip propre et votre brosse à dents, en ayant comme devoir de sauver le monde. Pour vous construire, vous aller devoir exploiter au maximum les ressources offertes par le monde environnant, dans son immensité vertigineuse. Beaucoup se sont plaints du vide paysager de Breath of The Wild. Cette réflexion très citadine semble ne pas prendre en compte la nature telle qu'elle existe de façon primordiale, et que Breath of the Wild célèbre ici.
Comme nous l'avons dit, Hyrule est ici un monde post-apocalyptique dévasté par la guerre, où la nature a repris ses droits. Des reliques de villages, des survivants rassemblés dans des pôles, quelques voyageurs qui s'aventurent sur les sentiers sauvages... Breath of the Wild n'est pas vide, il est juste sauvage, autant que la taïga, autant que des montagnes néo-zélandaises, autant qu'un désert centre-asiatique. On sent dans cette immensité l'aide apportée par Monolith Soft dans le développement (Xenoblade Chonicles).
Malgré cette apparente immensité "vide", la nature de Breath of the Wild apparaît incroyablement vivante et poétique, avec des accents animistes très proches des croyances shintô et de l'imaginaire miyazakien. Au détour d'une clairière, porté par des notes légères au piano, vous verrez apparaître non seulement des animaux sauvages, mais également des esprits, des créatures mythiques, des dragons glissant sur le grand ciel éternel... Levez les yeux, arrêtez vous, et prêtez juste attention. Vous verrez que la Nature de Breath of the Wild est très loin d'être vide ou éteinte. Et cela ne la rend que plus mystérieuse qu'elle ne l'est déjà.
La vie qui l'habite est ténue et doit s'y débattre, et c'est justement ce que ce Zelda cherche à vous faire ressentir: la vraie divinité de ce monde, ce n'est ni le Mal incarné par Ganon, ni Hylia, mais c'est bien cette Nature toute-puissante et ambivalente. Celle qui vous fournit de quoi vivre, mais qui est également prête, à tout moment, à reprendre la vie qu'elle a donnée. Par le froid qui vous congèle, la chaleur qui vous brûle, les orages qui vous foudroient, les monstres qui vous attaquent... Même les esprits divins qui s'y trouvent sont prêts à vous jouer des tours. Si vous ne vous débattez pas vous aussi pour survivre, vous allez y laisser des plumes. Face à Ganon, vous pouvez prétendre au titre de héros, mais la Nature, elle, prévaudra toujours sur vos forces en vous brisant à la moindre faiblesse.
Scout, toujours prêts!
Ici, tout est bon à prendre: le bois, les armes qui traînent, les fruits, les herbes... D'abord, vous accumulez, puis peu à peu, vous apprenez à l'exploiter. Seul, car aucune indication ne vous sera donnée, à moins de parler à la bonne personne au milieu des milliers de kilomètres² de paysage. En commençant par connaître les recettes qui vous endurciront (la cuisine est ici absolument centrale pour survivre), puis en développant des stratégies pour ne pas mourir face aux monstres. Contrairement aux autres épisodes de la série, qui nous avaient habitués à une difficulté de progression assez mesurée, ce Zelda vous donnera pas mal de fil à retordre. Hors de question ici de foncer dans le tas en se disant qu'en bourrinant, cela passera. On vous le dit tout de suite, cela ne passera pas, jamais, si vous n'élaborez pas des stratégies pour passer parfois in-extremis entre les mailles du filet. Aonuma, qui avait mis nos nerfs à l'épreuve sur Majora's Mask, revient ici avec la ferme intention de nous en faire baver.
Mais peu à peu, cela va venir. Vous découvrirez de vous-mêmes des trucs, comme dérober en douce les armes des ennemis pour qu'ils ne puissent pas vous attaquer avec, comprendre quelles armes se brisent vite et lesquelles résistent, retirer votre équipement métallique par temps d'orage, laisser à manger pour attirer les animaux sauvages, dompter les chevaux des prairies pour qu'ils vous obéissent. C'est en vous faisant le maître de cette nature sauvage que vous serez alors prêts à affronter Ganon. Mais le mieux dans tout ça, c'est que ce n'est pas Link qui sort grandi de son aventure en terre étrangère. C'est bien nous, derrière notre écran, parce que nous avons appris à apprivoiser un environnement hostile.
C'est en forgeant qu'on casse la baraque
Uesh, jaipalu, j'y joue ou pas?
Alors, oui. Si vous êtes prêts à faire des efforts. Non, je veux dire, de vrais efforts. Pas être juste là à dire que vous voulez plus de liberté, en attendant tacitement que le jeu vous dise quand même quoi faire. Oubliez tout ce que vous savez de Zelda, et même des open-world. La licence a su récupérer ce qu'offrait le RPG occidental, dans sa liberté d'agir et de se construire, en l'alliant à un mode d'exploration cohérent, maîtrisé, et en cela très japonais. On vous le martèlera tant qu'il le faudra, mais il faut comprendre que pour vous lancer dans ce Zelda, il faudra vous prendre en main et ne pas hésiter à vous préparer des dizaines d'heures avant de vous lancer à l'assaut d'une nouvelle zone. Et vous, cela veut dire vous, tout seul.
Malgré cet excellent ancrage, il faut quand même prévenir les joueurs de quelques zones d'ombre planant sur leur aventure. Testé sur Switch, quelques petites chutes de framerate sont parfois à prévoir, sans pour autant que cela ne soit catastrophique (ou alors nous avons été touchés par la grâce?). Le véritable problème vient des commandes, avec de trop nombreuses actions associées à de trop nombreux boutons. Plus d'une fois, vous allez utiliser votre tablette Sheikah alors que vous vouliez parer au bouclier, à moins que cela n'ait été pour bander votre arc ou locker l'ennemi. Courir, alors que vous vouliez sauter, siffler pour changer d'armes... Bref, l'interface pad demande un bon niveau de concentration pour ne pas s'emmêler les crayons avec. Du reste, on salue la mise en scène sur Switch qui est excellente, notamment sur la tablette qui propose une profondeur de champ incroyable.
Mais à part ça... Eh bien, rien. Le cell-shading, on l'aime ou pas, est splendide, à la fois épuré, presque zen, et pourtant plein de petits détails. La musique, subtile et élégante, vous accompagne discrètement dans votre périple. Les sanctuaires, qui ont remplacé les temples, proposent à chaque fois une énigme à résoudre, parfois très épineuse. Ceux qui aimaient se perdre des heures dans les donjons peuvent oublier Breath of the Wild. Les autres en revanche sauront apprécier la nouvelle légèreté qu'apportent les sanctuaires, qui laissent plus de place à l'exploration du monde tout en ponctuant très régulièrement la progression de nouvelles énigmes. Et autant dire qu'avec 120 sanctuaires à débusquer, les fervents aventuriers du temple de l'eau auront du fil à retordre.
On en pense quoi?
On a souvent accusé Nintendo de réutiliser les mêmes licences, jusqu'à l'essoufflement. On lui a crié de changer, de se renouveler... Et ce fut là le coup de génie de Breath of the Wild. En gardant la base de l'épopée Zelda, Nintendo en a bouleversé les codes en l'adaptant magnifiquement à l'air du temps. Et ce, sans tomber dans les pièges classiques des open-worlds avec leur liberté toute relative. Breath of the Wild nous fait comprendre qu'aucune liberté ne vient sans responsabilité. Mais alors, est-on réellement libre? Ce Zelda donne dans tous les cas une très belle leçon au jeu vidéo de notre époque. En dehors de quelques petites difficultés d'interface, l'expérience qu'il propose est fraîche, vivifiante et intense, pour peu que l'on lâche enfin prise sur nos habitudes. Si vous aimez Zelda, n'ayez pas peur de faire le grand saut. On n'espère désormais plus qu'une chose, c'est que cette entrée de jeu présage du meilleur pour la toute jeune Switch